Chapitre 20: 1986 - Décès de mon frère Georges

Cette période de ma vie fut la plus pénible et la plus cruelle à la fois. Être le serviteur du Maître ne nous met nullement à l'abri des peines.

Aussi, en réponse à tous les événements qui m'ont touchés: moments de grande peine ou de joie, me suis-je contenté d'être « passif ».
"Maître que ta volonté soit faite."
Nous étions en période de fin d'année.  Danielle comme à l'accoutumée préparait Noël et le nouvel an. Nous passions généralement Noël en famille et le réveillon du Nouvel An à l'extérieur: un bon repas dans un restaurant où nous partagions avec d'autres convives une danse lorsque l'occasion se présentait.
Cette  année-là... Mon frère Georges âgé de cinquante-trois ans nous rendit visite pour partager ces moments.
Son épouse, témoin de Jéhovah, ne pouvait accepter de telles fêtes chez elle.
Nous passâmes ces jours dans la joie et Georges fut très heureux de les partager avec notre fille et ses petits neveux et nièce.
Il prolongea son séjour de quelques semaines.
Danielle et moi avions repris nos habitudes: travail, maison.
Le soir autour d'un feu de cheminée, nous évoquions les jours heureux de notre enfance.
Georges était athée et ne s'en cachait pas.
Un soir, alors que nous terminions notre repas, il me demanda de lui tirer les cartes, chose que je faisais de temps à autre aussi bien pour les personnes que je recevais que pour moi-même.
Je fus fort surpris de sa demande car rien en  lui ne montrait un quelconque intérêt pour les jeux divinatoires.
Bien que suivant de très près mon vécu, il ne me parlait jamais de spiritualité, d’invocations, de lectures ésotériques ou même de voyance.
Avec une certaine fébrilité, il débarrassa la table, passa l'éponge sur la toile cirée et se cala dans un fauteuil: il aimait bien s'asseoir dans les "caqueteuses" de la pièce.
Je traînai un peu pour m'exécuter. J'avais le trac.  J'avais peur de lui tirer de mauvaises cartes.  Il est vrai que je ne cachais rien à mes visiteurs : tel était le contrat passé avec eux.
Danielle nous avait rejoints.  Après avoir placé les cartes selon la règle de l'oracle de Belline, je commençai leur interprétation.
Georges souffrait d'une insuffisance cardiaque avec rétrécissement du myocarde qui ne le laissait pas toujours en paix.
Je  fus alors interpellé par la carte 41 de l'héritage.
À l'instant où j'allais prononcer sa lecture, je marquai un temps d'arrêt, je sentis alors, tout près de moi, un souffle... un courant d'air, une froidure m'envahir.  J'étais gelé.
La voix du Maître raisonnait à mes oreilles, accompagnée de la vibration mélodieuse d'un au-delà, d'un monde inconnu; je reconnaissais bien ce timbre qui me fit dire: "Georges, vois-tu cette carte, elle représente la fin, la mort pour toi."
Danielle était choquée par cette annonce que je répétais sans cesse: "Frère, ta fin est là."
En chœur avec le message que je recevais, je lui répétais qu'il allait nous quitter ...
Quelle ne fut pas ma surprise... quand j'entendis la date de sa future transition le 31 juillet, date que je lui communiquai aussitôt.
Bien entendu, tout en accusant le coup, mon frère prit la nouvelle avec le sourire, mais un sourire de circonstance. Je lisais la frayeur dans son regard.
Il ne fit aucun commentaire mais ajouta : "on verra ça... si tu t'es trompé."
Or la résonance du message accompagnant la lecture de la carte ne faisait aucun doute pour moi: elle émanait du Maître.
Nous passâmes le reste de la journée à évoquer des faits similaires vécus avec d'autres visiteurs. Je le laissai perplexe et silencieux.  Puis la nuit profonde vint nous accueillir dans le sommeil.
Le lendemain, Danielle partant à 6 h 45 pour son bureau, nous nous retrouvâmes seuls.
Georges  remit le sujet sur la lecture des cartes sans état d’âme particulier: il était calme .Puis il s’apprêta à passer sa journée. L’écoute de la musique et la lecture reposaient son âme et son esprit.
Vers la mi février, il décida de rentrer à Toulon. Il avait hâte de retrouver son fils et lui remettre un beau blouson de cuir.

…Au cours du mois de mars, nous reçûmes une invitation pour nous rendre à Toulon au mariage d'une de nos nièces.
Nous partons donc Danielle et moi pour la durée d’un week-end.
Le destin vint de nouveau frapper à notre porte.
Nous avions décidé de sortir en ville pour acheter un cadeau de mariage destiné à ma nièce.
Nous étions quatre en voiture. A l'avant, Danielle et mon frère Marius, père de la mariée, qui conduisait le véhicule.
J'étais à l'arrière avec Georges.
Nous profitions de la belle journée qui nous était offerte, pour nous promener, Marius conduisant sagement.
Soudain, se dessinent à l'horizon les contours du stade de Toulon. Je ressens de nouveau cette chape de froid et suis réfrigéré en quelques secondes. Je prends alors subitement la parole, sans réfléchir, sans chercher à analyser la réaction que j’allais provoquer. Je dis alors, m'adressant à Georges: "Frère, vois-tu, si tu ne te ménages pas, si tu fais le "con", c’est ici que ta vie prendra fin." Ce sont vraiment les termes que j’ai employés. Et je lui désigne le stade de Toulon.
Mais, pour quelle raison lui ai-je annoncé cela ?
Ne l'avais-je pas assez perturbé déjà à Palaiseau ?
Une fois de plus, plongés dans une perplexité gênante, nous partagions à ce moment-là, le message que je venais de recevoir.
En dehors de cela, tout s'était bien passé. Nous quittâmes Toulon heureux d'avoir pu partager quarante-huit heures en famille.
Nous avions repris nos occupations sans repenser à Georges et un nouveau trimestre s'était écoulé sans incident qui put ranimer notre préoccupation le concernant.
La journée du 31 juillet s’écoula paisiblement. Nous étions déjà couchés, Danielle lisant, la tête bien calée sur son oreiller.
Il était vingt-deux heures quand le téléphone sonna.
Danielle décrocha et étant moi-même à l'écoute, elle me passa le combiné.
Au bout du fil, on me demanda si j'étais bien Monsieur François C., puis d'une voix plus nette mais encore hésitante: "Monsieur, nous sommes le SAMU de Toulon. Nous nous trouvons au stade, appelés d'urgence pour secourir votre frère, mais nous sommes désolés de vous apprendre son décès.
Seigneur ! Le 31 juillet à 22 heures... Je poussai un cri de douleur. Comme une bête blessée, je ne cessais de crier ma colère.
Je  demandai alors comment j'avais pu être informé aussi vite.
L'homme du SAMU me répondit qu'en cherchant une adresse dans son portefeuille pour prévenir la famille, il était tombé sur une enveloppe cachetée dans laquelle se trouvait le mot suivant écrit par Georges:
"S'il m'arrivait d'avoir un accident cardiaque ou un malaise grave, veuillez prévenir Monsieur François C."
Mon adresse et mon numéro de téléphone figuraient sur son message.
Je  demandai alors à mon interlocuteur de me décrire les circonstances de l'accident.
Au stade, avait bien lieu la rencontre entre Toulon et Brest. Toulon venait de marquer un but. Dans sa joie de supporteur, Georges se leva, les bras au ciel, heureux du but que venait de marquer son équipe.
Les spectateurs voisins le virent s'effondrer d'un seul coup, foudroyé. Je sus une fois sur place que son cœur avait littéralement explosé.
Mon frère Marius accepta de faire transférer chez lui le corps de Georges. Sa femme, témoin de Jéhovah, refusait de voir rentrer chez elle le corps de son mari. Elle n’assista pas à la messe mortuaire ni ne vint à son enterrement.
En revanche,  je fus très touché par la présence de toute l’équipe de football de Toulon et les amis qui lui rendirent un dernier hommage, un dernier adieu.
J'ai su ainsi, dans la peine, que Georges était très aimé.
Je reste encore, au moment où j'écris ces lignes, tout ému et bouleversé par cette mort... cette mort qui fut annoncée chez moi à Palaiseau autour d'une table.
L'épilogue survînt pendant que je veillais mon frère chez Marius. J'avais demandé de rester seul en sa présence.
Durant toute la nuit, je le vis près de moi souriant comme s'il était heureux de nous avoir fait une farce.
J'étais allongé à terre au pied du lit.
J'ai pleuré, pleuré... en lui demandant pardon d'avoir sans le vouloir programmer sa mort.
Je priai le maître de l'accueillir dans son monde. Je n'étais pas du tout révolté.
J'attendais une lumière, une voix, un signe...  Rien ne vint, j'étais là avec ma peine. Le sommeil me prit tard dans la nuit.
Ce  n'est qu’au matin, au réveil, alors qu'Henriette ma belle-sœur et Danielle s'affairaient à côté, dans la cuisine, que je pris conscience que Georges était bien mort.
J'eus, un instant, le sentiment, l'impression qu'il me parlait. Une voix lointaine me rassurait : "Fanfan, je suis mort, mais tu sais très bien que je suis vivant.
Toi qui sais, toi qui m'as dit tant de choses sur la vie, sur la mort, sur le Christ, sur les maîtres, tu as raison...
Je viens même d'apercevoir maman qui m'a tendu les bras en me voyant arriver dans ce monde que tu connais, mais que tu ignores pour le moment et ce jusqu'au moment de ta propre mort."
Puis ce fut le silence.
Baignant dans ma douleur, révolté par ce départ injuste, je dis en portant ma main droite sur mon cœur "Seigneur, Maître, que ta volonté soit faite."