Chapitre 19: 1981 - Famille L.

Cela faisait deux années que je recevais chez moi la famille L., famille au grand cœur d'une humilité et d'une gentillesse sans bornes qui m'avait en fait confié leur fille Christine âgée de sept ans.

Elle souffrait d'une totale extinction de voix, la médecine se montrant  inopérante dans son cas.
Cette enfant était douce et les mois et années de visite avaient tissé entre nous des liens profonds.
Nous étions devenus deux complices qui se comprenaient parfaitement.
Elle ne parlait pas, seuls quelques gargouillements sortaient de ses lèvres.
Un jour de juin 1981, j'entends vibrer la sonnette de la grille d'entrée.
Me penchant au dehors par la fenêtre de la salle de séjour, je découvre avec étonnement que la famille L. était là, au grand complet : la grand-mère, le père et la mère de Christine, et son jeune frère âgé de deux ans.
De la grille du pavillon, la mère de Christine m'interpelle : "François, nous avons aujourd'hui une belle surprise à vous faire. Nous n'avons pu attendre davantage pour venir vous trouver ».
Elle enchaîna aussitôt, en s'adressant à Christine : "chérie, que dit-on à François".
Nous étions toujours sur le seuil de la porte. À ma grande surprise, j'entends la voix de Christine, claire, limpide, me dire : "bonjour François... je parle".
Cette phrase de la petite Christine me laissa pantois. C'est à mon tour de me trouver aphone, incapable de prononcer la moindre parole, sous le regard de la famille attendant de moi une réaction.
Je le dis humblement, les larmes me vinrent aux yeux tant ce bonheur d'entendre la petite Christine parler, me submergea ! C'est d'ailleurs en coeur que nous nous mîmes à pleurer de joie.
Je leur fis signe d'entrer dans la maison et les introduisis dans mon bureau.
Christine ne cessait de parler. Elle rattrapait son silence. Elle était si radieuse.
Dans cette petite assemblée la grand-mère était aux nues. Elle répétait sans cesse : "François, c'est un miracle" !
Je remis les choses à leur place en insistant que tout cela relevait de la seule volonté du Maître.
J'appuyai sur l'image vraie de ma personne, disant que je n'étais pas l’acteur de ce changement, que seule la volonté divine s'était exprimée dans cette guérison.
Je m'appliquai à leur faire comprendre que je n'étais aucunement l’élu du ciel.
Puis le manège du petit frère de Christine m'interpella.
Tout en venant me faire un câlin de temps à autre, je remarquai que plus qu'à l'habitude, lorsque je posais mes mains sur les cordes vocales de sa soeur, faisant le tour du bureau, il venait s'adosser à ma jambe gauche et faisait pression sur ma cuisse en se balançant. Je le laissais faire, car pendant ce temps, il évitait d'importuner ses parents.
Ce jour-là, étant venu s'adosser plus longuement à ma jambe, je reçus un flash dont j'aurais voulu me détourner.
Mon Dieu, je voyais l'enfant se noyer dans une eau boueuse.
Les parents inquiets de mon soudain silence, se demandent si je n'ai pas un malaise.
À l'instant où j'écris ces mots, je me souviens combien je me sentais mal et pourtant je m'entendis demander à sa grand-mère où et quand ils se rendaient en vacances.
Je détaillai alors la scène que je venais de vivre.
Sa grand-mère me rassura en me disant qu'ils allaient passer leurs vacances à la campagne, écartant ainsi tout risque de noyade.
Toutefois, j’insistai lourdement et répétai ma vision d'une noyade. Je tenais à ce que la crainte d'un tel événement renforce leur vigilance.
Je m'en voulais de gâcher ce moment de joie.
Ils me quittèrent quand même avec le sourire.
Je me disais en moi-même : "mon Dieu, fais qu'il n'arrive rien à ce petit, protège le" !
En septembre, au retour de vacances, je reçus un appel téléphonique de la grand-mère en pleurs.
Je compris en un instant que quelque chose de grave venait de se passer.
Elle ne pouvait s'exprimer, tant les sanglots étreignaient sa gorge.
Elle répétait : "François, tu as vu juste... François... il est arrivé un grand malheur..., le petit..., le petit..., le petit est mort".
Les enfants, me dit-elle, passaient leurs vacances à la campagne, comme nous l'avions précisé avant notre départ.
Le petit sous le regard de son grand-père jouait dans la cour de la ferme.
Celui-ci, dans un moment d'inattention, ne le vit plus.
Tous ensemble, y compris les propriétaires de la ferme, se mirent à le chercher.
Ce n'est qu'une heure après, qu'ils le découvrirent, au milieu d'une minuscule mare, enfoncé dans la vase, dos à l'air. Il avait franchi une clôture de fil de fer barbelé en rampant, puis s'était avancé dans cette mare trompeuse.
Pourtant, ce trou d'eau clôturé se trouvait sous le regard du grand-père. Mais, les quelques minutes d'inattention furent fatales à l'enfant.
J'étais épouvanté, vide de toute réaction. Je ne savais plus quoi dire. Je ne trouvais pas les mots de réconfort adaptés.
Je demandai à la grand-mère de me rendre visite avec sa belle-fille.
J'avais un message à leur adresser : ce furent les mots que la "Voix " me souffla à l'oreille.
Mon désarroi était si grand.
Je revoyais l'enfant faire le tour de mon bureau, s'adosser à ma jambe et se balancer.
Pourquoi cette disparition alors qu'ils avaient été prévenus de renforcer sa surveillance ?
Les larmes me vinrent aux yeux.
Cependant, je devais vivre grâce à cet enfant un événement divin.
Après quelques semaines, Madame L. m'appela un vendredi soir.
Elle répondait favorablement à mon invitation et était encore sous le choc de l'accident.
Je la sentais quelque peu impatiente de l'annonce du message.
Je souhaitais qu'il fût plus réconfortant pour les parents, mais je n'avais aucune indication sur sa teneur.
Le lendemain samedi, elles vinrent donc me trouver accompagnées de Christine qui parlait avec une telle aisance qu'elle semblait ne souffrir d'aucune séquelle.
Évidemment, je ne manquai pas d’avoir une pensée pour le petit.
Un certain silence, marquant cette douloureuse absence, commençait à s'installer et soudain, je me sentis transporté recevant de nombreux clichés. J'étais entouré d'une ronde d'enfants chahutant dont un se détacha et vint me parler : "François, annonce à maman que je reviendrai très bientôt "parmi elles", je reviendrai... je reviendrai". Tel un écho dans les profondeurs..., je recevais ce message.
Je revenais à moi, sorti de cette torpeur dans laquelle je m'étais involontairement plongé.
Je m'adressai alors à la mère : «êtes-vous enceinte" ?
Elle me répondit non, un peu agacée par ma question. Je la réitérai comme si je tenais à ce qu'elle soit déstabilisée.
Je lui répondis : "vous attendez un enfant, vous êtes enceinte, mais vous l'ignorez pour l'instant".
Cette nouvelle ne semblait pas recevoir son acquiescement et, c'est sur un ton un peu brutal qu'elle répondit : "je suis mieux placé que vous pour savoir si je suis enceinte".
Je ne me laissai pas dérouté par cette opposition qui marquait une certaine défiance à mon égard.
La grand-mère, assise au coin du bureau, écoutait avec Christine sur ses genoux.
"En vérité, je vous le dis, le petit revient, il m'annonce son retour parmi nous. Il vous demande de garder son lapin bleu, car il y tient".
Le fait d'invoquer la présence du lapin bleu  secoua Madame L. qui s'adressant à sa belle mère lui demanda si elle m'en avait fait mention. Celle-ci interloquée répondit négativement.
"Ne bouge pas ma chambre, ne touche à rien maman, je reviendrai très bientôt".
Oui, vraiment, je crois qu'à cet instant je méritais le sarcasme de la mère. Je percevais son antipathie. Elle attendait avec impatience la fin de l'entretien.
Je levai la séance.
Elles me quittèrent quelque peu étourdies et sceptiques. Tout en refusant l'annonce faite, elles se disaient : "et si François avait raison, s'il avait vu juste"... ?
Je n'attendais rien d’elles.
La grand-mère m'embrassa chaleureusement ainsi que la petite Christine. La mère,  sans un regard, quitta les lieux.
Quelle ne fut pas ma surprise de recevoir quelques jours plus tard un appel de la grand-mère : "François, me disait-elle, c'est formidable, ma belle-fille est enceinte, mais elle accepte mal cette situation. Elle a peur de toi et de tes « agissements ».
Elle te prend pour un mage qui nous manipule.
Il fallait s'attendre à de tels propos. Je n'en fus pas touché.
Je la rassurai. Avant de raccrocher, j'ajoutai : "tu diras à ta belle-fille qu'elle vienne me voir plus tard avec son nouveau-né".
Je ne pensais plus ni à la mère, ni à l'enfant.
Seule fidèle, la grand-mère, me tenait au courant de l'évolution de la grossesse et attendait que je fasse un commentaire sur l'état de l'enfant.
Durant des jours et des mois, rien ne vint troubler ma vie. J'étais très heureux.
J'accomplissais mon "devoir". Je recevais mes visiteurs, les conseillais, les soignais par imposition des mains. Souvent après le bureau, je soulageais toutes ces âmes en peine. Bref, je ne m’écoutais plus.
J'écoutais la Voix intérieure qui me guidait tout au long de mes journées.
Un soir de juin, la même année, Madame L. m'apprit la naissance d'un beau petit garçon : "la ressemblance est surprenante, me dit-elle, il occupera la chambre du petit".
Très heureux de cette nouvelle, je remerciai le Maître de ce rappel.
Il m'arrivait en effet, d'être dans le silence, pendant des périodes assez longues, ne recevant aucun message.
Parfois, plongé dans le doute, j’implorais le Maître de me faire un signe.
Ces situations étaient très douloureuses.
Je fus alors très étonné d'avoir des nouvelles de la mère de l'enfant, n'attendant aucune réaction de sa part. Je ne fis guère attention à ses congratulations, n'attendant que sa visite avec le bébé. C'est ce qu'elle m'annonça.
Je la vis arriver le samedi après-midi avec la famille au complet, tenant un couffin où reposait l'enfant dormant poings fermés. De temps à autre je le voyais sourire.
Nous étions dans mon bureau autour de lui.
Je constatai, en effet, la ressemblance avec son frère disparu.
J'eus, tout à coup, le sentiment profond que ce petit être allait m'adresser la parole... J'étais à l'écoute.
Cet entretien était très singulier. Je ne percevais aucun son, aucune voix et pourtant on me parlait. Je recevais très nettement des bribes de phrases incohérentes. Je tendais l'oreille, penché sur le couffin d'où émanait enfin une voix.
Une douce voix..., une lumière qui me présentait une portée musicale d'où se détachait, note après note, une mélodie enchanteresse. Ces notes prirent une forme vocale et j'entendis au sein même de ma poitrine des paroles inattendues.
"François, je te ferai la surprise quand le moment sera venu. Mais en attendant, je suis très heureux d'avoir retrouvé mon petit lapin bleu".
Comment réagir à cela ? Comment expliquer à ce cercle familial ce que je vivais à cet instant?
Je ne pouvais rien dire, rien faire, rien démontrer. Il me fallait garder le silence et attendre le moment venu, la surprise annoncée.
Deux années passèrent. J'avais de temps à autre des nouvelles rassurantes et heureuses de la famille par la grand-mère.
Elle me décrivait le comportement de l'enfant qui s'apparentait étrangement, notamment dans les gestes, à celui de son frère disparu.
J'avais cette nette et formelle conviction que le petit n'était autre que lui-même : une nouvelle présence.
D'ailleurs, pendant cette période, j'avais été frappé par cet aspect du retour sur terre des êtres humains, après leur mort, après leur transition : période de repos, de silence, qui nous est imposée.
Parfaire notre personnalité, élever notre entité, tel est le but.
"Partir pour Revenir".
Pourquoi pas ? La réincarnation n'est-elle pas la résurrection de chaque être ?
Le réveil de l'Amour et de la Vérité ne devrait-il pas prendre forme un jour ?
Autrement, pourquoi l'homme invoquerait-il cet instant ?
Répandre à nouveau le souffle divin n’appartient qu'à Dieu. Certes, il est seul détenteur de la vérité mais cette vérité est également nôtre : ne sommes-nous pas faits à l'image du divin ?
Alors que je me débattais avec cette phase complexe de la vie qu'est la réincarnation, je fus totalement conquis par les faits suivants.
La famille L. vint me rendre visite et prit place dans mon bureau en demi-cercle, le petit dernier légèrement détaché.
Je le regardais en silence, analysant ses moindres gestes. Il semblait plus calme que son frère disparu.
J'étais moi-même très tendu, attendant une réaction de sa part. Ne m'avait-il pas dit : "François, je te ferai la surprise". Qu'allait-il donc se passer ? Qu'allait-il donc dire ou faire ?
Nous étions tous dans l'attente de l’imprévu, persuadés d'assister à un événement troublant.
Tout à coup, l'enfant quitta sa grand-mère pour se précipiter sur moi.
Contournant le bureau, il vint se plaquer sur ma jambe gauche et se mit à se balancer comme s'il était sur une balançoire.
Il faisait ce mouvement, avec une précision inouïe, le même geste que son frère
Je ne pus que constater ce fait, avec bonheur. Une immense joie me pénétra. Tel le bûcheron fendant son arbre, ce petit fendit mes entrailles. Il me disait : "tu vois, c'est bien moi, je suis revenu. J'ai fait une virée. Je devais faire ce voyage d'aller retour".
Cet événement nourrissait mon être. Moi seul, sans doute, réalisais le sens profond de ce retour.
N'avais-je pas là, la réponse à mon attente sur ce sujet qui m'interpellait : "la Réincarnation".
Je jure, par le Christ renaissant, que j'ai vécu ce moment-là, avec une grande ferveur, une grande reconnaissance envers le tout-puissant, mon Maître absolu, le Christ roi, fils, frère de notre humanistique planète Terre.
J'étais heureux d'être parmi les êtres à savoir.
À savoir..., mais comment raconter cela ? Comment faire admettre ce que nous vivions ensemble, sans éveiller de la part de nos proches, de nos semblables, des doutes et être ainsi marginalisé.
J'étais ainsi seul, avec ce bonheur, à partager avec le Maître Jésus, la béatitude de celui qui EST sans ETRE.
Danielle, que je mis au courant de l'événement, fut très touchée par mon récit.
En nous quittant, la grand-mère dit à ma femme : "Danielle, vous avez un mari formidable".
Bien sûr, elle exprimait là, sa reconnaissance et le bonheur partagé.
J'eus, par la suite, quelques nouvelles d'elle qui s'estompèrent avec le temps.
De temps à autre, je perçois son entité.
Peut-être, qu'un jour, à la suite de ce récit, reverrai-je cet enfant ?
Que la volonté du Maître s'exprime, que sa volonté soit faite !