Nous venions d'entreprendre l'élévation de notre pavillon de Palaiseau.
Une mauvaise coordination des différents corps de métier faisait traîner les travaux.
La toiture venait d'être terminée, la maison était hors d’eau. Je m'apprêtais à poser de la laine de verre afin d'isoler les combles.
Ayant rassemblé outils et matériaux, agrafeuse et rouleaux de laine de verre, je commençais mon travail perché sur mon échelle.
Le temps était assez beau, sans nuage, juste un léger courant d’air qui faisait voltiger par milliers les poussières de verre.
Soudain, je fus enveloppé d'un souffle léger et j'entendis une voix.
Cette voix qui n'utilisait pas la parole ou le verbe sous la forme phonétique habituelle me plongea dans une sorte de halo musical...
J'étais là, perché sur mon échelle, tendant l'oreille et percevant de plus en plus nettement une voix qui m'interpellait:
"François... François..., je souhaite que tu ériges au fond du jardin une croix.
Cette croix, en mon nom, préservera ta demeure et les tiens".
Le terrain de 500 m carrés, était enserré entre deux autres jardins appartenant à des voisins auxquels je n'adressais qu'un bref " bonjour "ou " bonsoir ".
Aussi, scrupuleux de garder mon intimité et surtout sensible aux qu'en-dira-t-on, je me voyais mal ériger cette croix au milieu de cette zone pavillonnaire.
Je souligne que cette "voix " ne cessait de réitérer cette demande.
Perplexe, je n'étais pas du tout dans un état normal et j'entrepris de converser avec cette "voix."
J'ajoute que déjà, depuis un certain temps, je ressentais la présence de quelqu'un à mes côtés. Cette présence permanente qui se faisait pressante ne m'occasionnait toutefois aucun trouble. J’étais
en quelque sorte attentionnée à la discrétion de cet appel, à la résonance de cette voix.
J'avais laissé ma laine de verre de côté et suspendu mon travail.
Alors, pris d'une colère subite, j’interpellai ainsi la voix:
"Si c'est toi, Maître, qui me parle, montre-toi. Fais-moi signe... Je veux bien implanter une croix..."
J'ai même été grossier au cours de cet échange muet, car je perdais patience, n'avançant pas dans mon travail, mon esprit engagé dans ce mystérieux dialogue.
Descendu de l'échelle, je m'apprêtais comme à chaque fois, à faire-part à Danielle de ce que je vivais.
Je me suis alors penché par l'ouverture de la future fenêtre pour la héler, se trouvant elle-même dans la cuisine. Ma fille Valérie préparant son bac, révisait ses mathématiques, aidée d'un
collègue de bureau.
Donc, penché vers l'extérieur, la tête en direction de la fenêtre de la cuisine, j'entends tout à coup un craquement de tonnerre. Un éclair jaillit de ma main gauche.
La zébrure était telle qu’en la regardant je pris nettement conscience d'être foudroyé, puis, plus rien...
En une fraction de seconde, j'étais et n'étais plus.
La voix de Danielle me parvenait dans le lointain : "Nouche, Nouche, qu’y a-t-il ?... Que fais-tu ? »
J'appris par la suite que ma chute à terre entraîna celle de l'échelle dans un fracas qui évidemment l'inquiéta.
Elle entreprit alors d'escalader l'échelle de chantier tout en m'appelant.
Il est très difficile d'exprimer ce que l'on vit dans la "non vie", car je réalisais que j'étais là (mon corps), à terre, couché et que d'en haut, j'apercevais ce "moi "étendu et entendais une femme
qui criait et que j'essayais de rassurer ...
Mais tout cela allait si vite.
Plus elle m'appelait plus je rassurais cet "appel" et moins j’étais là.
Je ne peux pas évaluer la durée de ce manège.
C’est si difficile d'expliquer ce qui m'arriva.
Tout à coup, je vis apparaître, d’en haut, à « ma vue » et à ma "non vue", la tête de ma femme puis graduellement son visage.
C’est alors que je bondis comme un diable sorti de sa boîte pour lui dire: "Ne me touche pas, je suis foudroyé."
En quelques secondes, je revins à moi, je revins " d'en haut."
Avec difficulté, ma femme aidée de mon ami m’aida à descendre.
Revenu dans notre salle de séjour, j'entrepris de leur raconter l’étrange épisode que je venais de vivre.
Encore sous le choc, le médecin appelé me fit une piqûre pour me calmer.
C'est ici que cet épisode prend tout son sens.
Me reposant dans la salle à manger, encore plongé dans mon aventure, le téléphone sonna.
Danielle décrocha et, coïncidence incroyable, c'était G., notre menuisier charpentier, que j'employais pour installer des poutres de chêne dans la pièce de séjour, qui appelait pour me faire
part de sa trouvaille: "Je me trouve, dit-il, à l'église de Fresnes où j'entreprends quelques travaux de réparation.
Je suis tombé par hasard sur un beau morceau de bois et sais-tu à quoi j'ai pensé ? Je vais te faire une "putain de croix"(sic), que je verrais bien au fond de ton jardin."
Inutile d'insister davantage, j'avais là, la réponse du Maître.
La croix fut fabriquée et installée mais son histoire ne s'arrête pas là.
Toujours secoué par cet " électrochoc", je me laissai aller à méditer sur ce monologue insolite, vif et passionné que je venais de vivre.
Pourquoi moi, me disais-je ?
Bien sûr, la voix avait parlé et j’installerai cette croix au fond du jardin. Mais je demeurai perplexe sur la signification de cette brève conversation entre cette " voix " et moi-même.
Pourquoi... Pourquoi... Maître ?
Dans le calme et la sérénité retrouvés, je fus à nouveau interpellé par la " voix" qui raisonnait en moi: "François, tout comme Moïse, le buisson ardent."
J'avais là, une double réponse, d'abord à ma question : pourquoi, pourquoi moi, et également à ma grande hésitation tout au long du dialogue entre cette " voix ", la demande, et ma perplexité.
Cette demande manifestement émanait d'une volonté divine.
J'en avais conscience, mais j'attendais que cet ordre divin me soit confirmé.
Ainsi, je compris le sens de tout ce dialogue.
En même temps cette volonté tenait à me rassurer intérieurement et à me faire prendre conscience de l'origine de la demande afin que je sois en mesure de recevoir et d'accepter cette croix qu’on
allait ériger, mais pas pour me satisfaire puisque je n'étais pas demandeur.
Le menuisier me fit parvenir une croix magnifique que j'entreposai temporairement dans mon garage en attendant de l’ériger.
Je l'avais couverte d'un drap pour la cacher aux yeux de mes visiteurs.
Depuis quelques jours les médias, presse et télévision revenaient sur un événement curieux qui se passait dans le nord de la France.
Un homme, d'une trentaine d'années, se présentait sous le nom de "INRI" devant des particuliers ou des groupes de gens. Il prétendait être revenu sur terre afin de continuer et accomplir l’œuvre
commencée il y a 2000 ans.
On parlait de lui, de ses prêches et même de ses miracles.
Je dois dire que cela m'interpellait sans attacher à ce "INRI" une attention particulière.
Un soir, ma belle mère appela Danielle pour lui faire part d'une information télévisée, diffusée sur la deuxième ou troisième chaîne (je ne m'en souviens plus hélas).
Un homme, se faisant passer pour le Christ, allait lors d'une grande réunion de fidèles, prêcher et guérir les malades qui viendraient à lui.
Ma belle-mère, souffrant elle-même de douleurs articulaires, rhumatisme et arthrose, me demanda si je pouvais l'aider à rencontrer cet homme.
Je ne pouvais pas me déplacer et plus encore je ne tenais pas à me mettre dans une situation plus ou moins burlesque. Car je prenais cet homme pour un charlatan qui dupait un monde crédule.
Je la rassurai un peu et lui promis de l'aider par des soins homéopathiques.
Noël 1980 approchait...
Je venais de rentrer du bureau. Il était environ dix-huit heures trente quand le téléphone sonna. J'entends la voix de Christian.
À l'époque, j'avais rencontré ce garçon d'une quarantaine d'années qui vivait une période de grands élans spirituels. Il venait me voir et nous échangions nos points de vue sur la religion,
les faits et méfaits des Eglises. Nous étions frères par la pensée.
Il me sembla alors assez agité et nerveux, ne sachant comment m'annoncer la nouvelle, "l'avènement ". Car, François, me dit-il, j'ai quelqu' un à te présenter. C’est un miracle ! C'est formidable !
Il n'était pas avare de superlatifs avant de m'annoncer qu'il avait recueilli, chez lui, un homme en qui beaucoup de gens voyaient la résurrection du Christ... Il s'appelle « INRI ».
Immédiatement, je repensai à l'entretien que j'avais eu avec ma belle-mère. Etait-ce un signe ?
Le destin une fois de plus allait me pousser vers une étrange aventure.
J'acceptai de lui rendre visite le soir même. J'étais assez perplexe mais je ne m'en faisais guère, n'en étant pas à ma première expérience.
Je décidai de me faire accompagner de Patrick et le prévint d'être prêt pour rendre visite à "INRI".
Cinq cents mètres environ me séparaient de la demeure de Christian.
Patrick me rejoignit une heure après et c'est à pieds que nous descendîmes la rue nous conduisant tous deux vers « INRI ».
Je sonnai à la porte, Christian nous ouvrit. Notre présence semblait à la fois le rassurer et l’inquiéter.
Une forte odeur d'encens inondait la pièce dans laquelle on nous fit entrer.
Il y avait là une bonne quarantaine de personnes qui psalmodiaient ou priaient, une vraie chapelle haute en couleurs.
Au centre : un homme debout, vêtu d'un ample vêtement blanc, sorte de djellaba, pieds nus et cheveux longs tombant sur ses épaules.
À ma grande stupeur, je crus instant que j'avais là, face à moi le Christ.
Cet homme, son port, son visage, ses cheveux, sa taille, sa voix qui, lorsqu'il parlait, semblait sortir des entrailles de la terre, tout était frappant.
Je ne savais si notre visite, si ma visite était annoncée.
Il s'avança vers moi pour me dire: "François, mon fils, viens que je t'embrasse » et il m’étreignit avec douceur. C’est à cet instant que j'entendis ma « Voix»: «François, aie la bonté d'accueillir
cet homme par l'ouverture." Je comprenais parfaitement le sens de cette invitation.
Je demandai à la maîtresse de maison une cuvette remplie d’eau et une grande serviette de bain blanche.
Les personnes présentes s'échangeaient des regards surpris et interrogatifs.
Je fis alors asseoir « INRI » au milieu de la pièce tandis qu'on m'apportait l’eau et une serviette immaculée.
Guidé par je ne sais quel intervenant, je me laissai aller à cette communication intérieure qui soudain m'habitait.
La liaison était directe, sans interférence, je n'avais plus qu'à m'exécuter. Je fis donc signe à « INRI » de tremper ses pieds dans l'eau claire et entrepris de lui laver les pieds par de
symboliques coulées d’eau.
Je venais de procéder au rituel du visiteur, coutume opérée par les Esséniens.
« INRI », sans bouger, se prêtait de bonne grâce à cette baignade pédestre.
Patrick était assis tout près de nous.
De la pièce enfumée par l'encens s’élevait un même cœur de prières.
Et malgré le flou de mon esprit, étant à la fois présent et absent, cette atmosphère remplissait tout mon être et je participais, moi aussi, inconsciemment "aux vêpres ".
Soudain, je fus à nouveau "enveloppé » et la "Voix " résonna dans ma tête.
Patrick, se doutant que quelque chose d'insolite allait se passer, se rapprocha d’« INRI » et de moi-même.
Et subitement, sans délicatesse, je m'entendis interpeller « INRI ».
L'assistance se tut et je sentis les regards converger vers nous.
J’écoutais " la Voix ":"François, veux-tu demander à « INRI » de bien vouloir découvrir son épaule gauche; qu'il te fasse voir la cicatrice apparente causée par le port de la croix !"
Simultanément, je transmettais à « INRI ». Cet échange simultané entre mon moi récepteur et émetteur se faisait aussi naturellement, aussi simplement que la parole suit la pensée.
Les prières s'arrêtèrent..., un silence pesant s'abattit sur l'assemblée.
« INRI » se leva effectuant un léger claquement entre ses mains. Il pivota sur lui-même et s'adressant à moi, d'une voix caverneuse, tout en regardant les "disciples " me dit: "François, mon
fils, je ne me dépouillerai pas. Je n'ai pas à exécuter ta demande car il est dit que c'est à mon père le Dieu tout-puissant que je dois des comptes."
Je fais ici une parenthèse. C'était la première et longue phrase qu’« INRI » prononçait. Je remarquai un léger accent portugais.
Son regard avait changé, il était inquiet. Je le sentais désarçonné.
Le climat religieux s'était changé en murmures désapprobateurs et véhéments à mon égard.
Je pris conscience que j'avais dérangé.
Christian et sa femme me firent des remontrances: "Comment as-tu osé...?"
Patrick ne bougeait pas attentif au tumulte du parterre.
Je fus pris de tremblements qui me firent réagir.
Je quittai d'un coup ce forum pour aller chez moi.
Là, je mis au courant ma femme et ma fille qui regardaient le Cid à la télévision.
"Venez, leur dis-je, me donner un coup de main".
Nous descendîmes au garage où j'avais entreposé la croix.
Je donnai l'ordre à Danielle et Valérie de m'aider à la transporter.
Nous prîmes alors le chemin de la demeure de Christian.
Il était à ce moment, plus de minuit.
Les habitants de Palaiseau sortaient d'une projection de cinéma.
Je portais la croix par les bras, Valérie par les pieds, avec Danielle au milieu.
Les gens ahuris par cette scène insolite, nous regardaient passer...
Nous étions là, en train de dévaler la rue de la sablière...
Arrivés à la porte d'entrée du pavillon, Christian nous attendait...
Avec beaucoup de difficultés, nous réussîmes à nous faire un chemin parmi les adeptes qui priaient.
« INRI » était là, les yeux au ciel menant, tambour battant, "cette cérémonie".
J'adossai ma lourde croix au mur.
La « Voix »... ma « Voix » se manifesta à nouveau.
Entouré de Patrick, Danielle et Valérie, je m'apprêtai à quitter ce forum quand, tout à coup, rebroussant chemin, contournant « INRI » et prenant de nouveau la croix par les bras, la mettant bien en
face de lui, je lui dis: "tiens, celle là ne te rappelle rien" !
Christian révolté par mon attitude se précipita vers moi. "Je te laisse la croix, lui dis-je ; je reviendrai la chercher en son temps".
Regroupés, nous quittâmes ce temple qui me fit penser à l'autre, celui du « malin ».
Enfin, de retour à la maison, au milieu des rires, nous nous demandions vraiment si nous n'avions pas rêvé.
Quelques semaines passèrent, je reçus la visite de Martine, une amie, au volant d'un camping-car. Nous bavardions ensemble quand la voix retentit :
"François, viens chercher la croix".
Je demandai à Martine de m'accompagner. Il faisait jour et je voulais éviter de nous faire remarquer.
Je sonnai chez Christian. C'est lui qui vint m'ouvrir : "que veux-tu me dit-il" ?
"Je viens chercher la croix lui répondis-je".
Toute poussiéreuse, elle était là dans un coin de son sous-sol. Martine m'aida à la transporter dans son camping-car.
Au moment de le quitter, Christian me dit : "à l'instant où tu es rentré chez moi, INRI encadré de deux agents était expulsé vers le Brésil".
Je regardai ma montre, il était trois heures de l'après-midi.
Je ne revis jamais Christian.