Chapitre 14: Voyage aux antilles

Danielle, mon épouse, et moi-même sommes invités en Martinique par un ami très cher Marcel R. que nous avions reçu chez nous quelques mois auparavant.

Ensemble nous avons passé des moments de forte intensité spirituelle. Nos échanges n'avaient rien d'extraordinaire.  Les expériences que nous menions avaient pour but de nous éveiller l'un l'autre, plus exactement de nous souvenir de nos rencontres présentes et passées et c’est
avec une immense joie que nous échangions, avec une certaine fébrilité, nos pensées qui défilaient dans notre esprit.
Une expérience que nous aimions réaliser ensemble consistait à nous laisser adombrer  par des entités passantes.
Plongés dans l'obscurité de mon bureau, à la lueur d'une bougie, je demandais à Marcel de fixer mon regard avec intensité jusqu'à laisser mon visage se recouvrir d'un léger halo.
Durant quelques secondes, je disparaissais pour laisser place à une entité. Celle-ci ne parlait pas et n'émettait aucun son. Seule, sa présence évoquait à Marcel un être cher disparu.  Puis une autre apparaissait.
Ainsi, nous partagions ensemble ces moments incroyables dont nous ne retenions que les faits les plus marquants. Par recoupements, nous arrivions alors à déchiffrer notre vie passée.
Ces expériences communes et si personnelles avaient peu à peu tissé entre nous des liens si étroits, que nous avions l'impression de n'être plus qu'un.
Cette ainsi qu'un jour de juillet 1978, Marcel me dit: "François, je t'invite avec Danielle chez moi en Martinique. Occupe-toi du voyage."
Ainsi fut fait.
À notre arrivée, nous sommes reçus par toute la famille R. y compris frères et sœurs: un pêcheur, un musicien, un autre douanier et une sœur si gentille et si accueillante.
Marcel nous installe chez lui, à la cité Dillon, dans un appartement qu'il partage avec sa femme et ses enfants. Reçus comme des invités de marque... repas créoles riches en crustacés, langoustes, fruits exotiques.
Tout nous charme... jusqu'au coucher où nous sommes surpris de dormir dans le lit du couple.
Je  suis gêné et pense mettre fin au plus tôt à cette installation.
Le lendemain matin Danielle accompagne la femme de Marcel au marché local de Fort-de-France.
Au moment de payer, c'est un drame ! Danielle ne peut à aucun moment partager les frais du marché.
Au retour, j'entame une discussion avec mon ami qui réplique sèchement comme pour mettre fin à notre entretien :"Arrête, me dit-il, ne viens pas ici avec tes manies de blanc. Vous êtes nos invités et comme tels, vous n'avez rien à dire."
Nous sommes Danielle et moi à la fois peinés et particulièrement touchés par cet accueil fraternel.
Au cours de cette journée, nous faisons quelques promenades touristiques accompagnées de Marie-France, sœur de Marcel.
Au moment de nous séparer, elle me prend à part et me dit gentiment: "François, je pense que votre séjour devra être partagé par ma famille.
Permets-nous de te recevoir une fois chez l'un, une fois chez l'autre. Cela nous fera tellement plaisir de vous avoir à tour de rôle."
Je suis surpris et me demande comment Marcel prendra ce changement. Sa sœur fut certainement très habile puisque nous déménageons rapidement pour nous installer chez elle.
Le soir, elle nous confie avec retenue qu'elle avait présenté ce point de vue à son frère pour lui rendre service.
Car Marcel venait d'emprunter de l'argent à sa famille pour pouvoir nous accueillir chez lui. Je restai bouche bée, triste et me sentant redevable de toute cette bonté.
Cette ainsi que nous passâmes notre première nuit chez Marie-France avec son époux et ses deux enfants.
Cette fois, nous nous trouvons sur la commune de Schoelcher,  dans un ensemble immobilier récent, plus aéré, face à cette mer limpide d'un bleu vert.
Les jours s'écoulent très riches en couleurs, en visites, en rencontres pour Danielle et moi. Nous vivons là des vacances agréables, en famille.
Danielle émet le souhait de nous retrouver tous les deux, de faire le tour de l’île, de passer une journée ensemble.  Visite aux trois îlets, à la demeure de Joséphine de Beauharnais... Tout est pour nous plaisirs et découvertes.
Avec ma caméra, j'utilise un nombre impressionnant de bobines.
L'heure du déjeuner approche, il est environ onze heures trente. Nous cherchons un coin où nous pourrions nous baigner et nous restaurer.
Celui-ci se présente, véritable lieu féerique, une chapelle au bord de l’eau, un ponton, un village de pêcheurs multicolore. Un bon bain ne fait qu'accentuer notre appétit.  Sortant de l’eau, je prends pied sur le ponton et me dirige vers la rive.
Je ne sais alors ce qui m'arrive. Je suis attiré par une "indigène " assise à même le sable, la tête plongée entre ses deux mains. Je pense qu'elle pleure, mais m'approchant d'elle il n'en est rien.
Puis soudainement, je ne sais pourquoi... ni comment... je suis poussé à l'interpeller.
Danielle me rejoint et se tient à quelques pas de la scène légèrement en retrait sous le regard absent de cette femme.
Cette rencontre est encore très présente en moi car elle a été l'instant déclencheur d’un immense bonheur qui a nourri ma vie.
Fixant cette brave femme, je lui dis sans me présenter : "Je veux voir Pierre ". Elle lève les yeux vers moi, étonnée, je dirais même inquiète.
Je répète sans arrêt... en fait, je la harcèle de ma demande : "Je veux voir Pierre "...
Elle  finit par me répondre, à mon grand étonnement, et me dit: "Ah ! Oui, je vois...  tu es quimboiseur (voyant, guérisseur en créole) ! Ne sachant pas ce qu'elle veut dire et ne comprenant rien, je reprends de plus belle: "Je veux voir Pierre... Je veux voir Pierre."
Enfin, elle se lève et sans un mot s'engage vers le site rocheux qui nous fait face.
Une demeure apparaît, modeste, sans bruit, d'une propreté éclatante.
Puis, la femme me conduit dans une pièce.
Danielle suit, se demandant où tout cela va nous conduire.
L’estomac nous tenaille différemment, elle de faim moi de peur...
Où ai-je mis les pieds, Seigneur ? Dans le coin de la pièce, un homme, le visage couvert d'une barbe hirsute, assis sur une chaise roulante se tient là... silencieux, surpris par cette visite insolite. Il me regarde comme une bête curieuse.
Moi, j'observe ses jambes, comme des quilles. Cet homme souffre ! Son regard brille comme s'il avait une fièvre paludéenne.
Mais ce qui est surprenant c'est le total mutisme du couple.
Puis, tout à coup, c'est moi qui parle. Que le lecteur me pardonne !  Je parle, sans prendre la parole. Quelqu'un, quelque chose intervient au même moment. Tout en moi est loin, très loin. Je m'entends lui dire: "Pierre nous sommes le 7 août 1978, avant que je ne quitte cette île, tu marcheras."
Je fais quelques signes au-dessus de sa tête, puis plus rien. Je reviens à moi pour entendre Danielle me traiter de fou et d'ajouter: "Comment as-tu pu un instant dire ces paroles à cet homme ?  Tu es fou, tu es inconscient !"
Bien entendu, l'état de Danielle me laisse totalement ahuri.
Qu'ai-je bien pu dire à Pierre ?  Qu’ai-je pu lui annoncer ?
Puis  nous quittons ce couple aussi simplement.  C'est en descendant des hauteurs que je demande à Danielle de me raconter calmement ce qui s'est passé.
Je m'en veux tellement après cette rencontre d'avoir éveillé un tel espoir chez Pierre ! Je ne sais que faire ?
Nous nous décidons enfin à nous asseoir pour nous restaurer, mais Pierre ne quitte plus mon esprit...
De retour, nous ne faisons aucun commentaire sur notre journée et encore moins sur cette rencontre singulière de Pierre.
Notre séjour avec toutes nos promenades fut en tout point délicieux.
Cette  famille  R. demeure en moi. Vingt années plus tard elle reste gravée dans ma mémoire.  C'est grâce à elle, que j'ai vécu les plus beaux moments de ma vie terrestre.
Nous  pensions à notre retour.
Vingt quatre heures avant notre départ nous fîmes une courte visite d'une journée chez une charmante amie Joby V. originaire de Guadeloupe, chanteuse de profession.
Nous étions le 20 août 1978, le dernier jour de notre séjour martiniquais.
Avec Marie-France nous passions en revue tous les instants émouvants traversés ensemble, nos rencontres avec presque tous les membres de sa famille et d'autres amis.
Il  était 18 heures locales. Nous nous apprêtions à prendre un punch en famille: avec Marie-France, son mari, ses enfants, Danielle et moi.
Soudain, on sonna à la porte de l'appartement situé au rez-de-chaussée.
Marie-France se dirigea vers la porte d'entrée.
Des bruits de voix me parvenaient comme une sorte de brouhaha généré par de nombreuses personnes rassemblées.
Quelque chose de bizarre se passait dehors.
J'entendis nettement le claquement de fermeture de la porte d'entrée puis Marie-France le regard apeuré me dit: "François, on te demande à la porte; je suis effrayée par ce groupe de gens.
Dis-moi, n'as-tu pas eu un incident verbal, une querelle ?
Tout  en me dirigeant vers la porte d'entrée, je me demande la raison de tout cela.
Je n'ai donné mon adresse à personne.
Comment se fait-il qu'on me retrouve, hébergé dans la famille R.?
Marie-France me suit, prête à intervenir, notamment comme interprète, au cas où la conversation avec les gens qui me réclament se passe en créole.
J'ouvre la porte et à ma grande stupéfaction, je reconnais le couple dont je ne connaissais que le nom de Pierre.
En fait, sur le coup, j'identifie sa femme.
À ses côtés, un homme dont le visage ne m'est pas étranger.
Il s'adresse à moi: "François... François, tu ne me reconnais pas ?
Je suis Pierre !  Regarde-moi, je marche, j'ai conduit ma voiture."
Il brandit un trousseau de clefs de voiture. J’ai beaucoup de mal à me remettre dans le contexte vécu car il n'a plus de barbe, est bien rasé, et me semble amaigri. Je suis totalement  dépassé.
Bref, cette cohue est là pour connaître François !
Pierre répète sans cesse, les yeux larmoyants: "François, François, mon frère..., tu vois..., tu as fait un miracle.»
Je lui réponds: "Pierre, ce n'est pas moi qu'il faut remercier, mais le Seigneur qui m'a envoyé ce jour là vers toi, vers vous."
La famille R. et Danielle nous rejoignent sur le seuil de l'entrée.
Je vécus à cet instant ma plus grande joie accompagnée d'une paix profonde.
Je ne peux résister à l'émotion qui m’étreint.
Nous nous jetons en larmes, dans les bras l'un de l'autre.
Puis,  le calme revint et nous nous fîmes la promesse de nous revoir.
Ce moment fut si délicieux.
Vraiment, cette fin de journée du 20 août 1978 fut pour toujours inoubliable pour moi et Danielle
Cet événement me fit oublier que le lendemain après-midi nous prenions l'avion pour un séjour d'une semaine en Guadeloupe afin de rendre visite à Jobby V. notre amie chanteuse de cabaret
Après le souper, nous passons ensemble le reste de la soirée à revivre ces instants de bonheur sans que la famille R.  soit au courant de la première rencontre avec Pierre, ayant gardé le silence sur cet événement.
Nous nous embrassons pour la nuit avant de regagner comme tous les soirs notre chambre normalement réservée  au couple.
Une journée pleine d'inattendus nous attendait, le lendemain.
À 3 heures du matin, je suis réveillé par un appel.
Une voix chaude à la fois orale et musicale me parvient.
Réveillé, je m'adosse à l'oreiller et dirige mon regard vers l'endroit d'où provient l'appel.
Je suis saisi par une lueur éclatante venant du fond de la pièce.  À ce moment-là, je l'avoue, j'eus peur.
Cette lueur petit à petit  prend forme humaine: "François, n'aie crainte."
Est-ce l'émotion due à la visite de Pierre qui me trouble ?
Est-ce que je rêve ?
La forme humaine se rapproche du pied du lit.
Elle n'est, à ma grande surprise, ni pleine ni consistante, on ne peut pas parler d'un corps humain en chair et en  os.
Un corps étincelant de milliers et de milliers de petites étoiles scintillantes s'approche de moi.
Le visage apparaît, puis les yeux, les cheveux, des cheveux longs sur des épaules magnifiquement dessinées.
Je crois avec force, à cet instant, à une vision, la vision du Christ.
J'ai là, devant moi, cet être lumineux et je n'ose rien dire.
Puis une vibration... une voix très nette me sort de la torpeur dans laquelle je suis plongé: "François, à présent tu sais...".Il tient dans ses mains un objet dont j'ai beaucoup de mal à identifier les contours.
Cet objet relié à une chaîne se balance entre ses doigts: "François, à présent, tu  œuvreras dans le silence pour le rapprochement monothéiste.
Ce symbole sera celui que tu arboreras dans le silence.
Tu n'en parleras que lorsque je t'ouvrirai la porte. Là, vois-tu, un rideau rouge se lèvera. A ce moment-là, tu pourras présenter le symbole et parler de moi."
Lorsque tu auras respecté le silence durant un temps, je te ferai signe et tu auras la signification de ce symbole ainsi que son appellation".
Il me présente le symbole suivant:
- au bout d'une chaîne, un CERCLE représentant le monde,
- à l'intérieur du cercle: l’ETOILE de DAVID
- au centre de l'étoile: la CROIX
- au centre de la croix, sur ses bras, le CROISSANT mahométan

Ce furent les derniers mots du message.
À  mon grand regret, je n'ai pas eu le temps de m'entretenir personnellement avec le Maître. Il disparait entraînant avec lui des myriades de petites étoiles.
Sorti de cette torpeur, de ce rêve, reprenant naissance, je réveille Danielle pour lui faire part de ma vision.
Elle m'écoute, tout en me faisant remarquer que j'ai rêvé, qu'à la suite des événements de la journée, j'étais psychiquement fatigué.
Il me fallait donc dormir et me reposer.
Je me suis endormi très tardivement en pensant au lendemain.
Au réveil, je rassure Danielle inquiète de ma santé.
Au petit déjeuner, je demande à Marie-France si elle connaît un bijoutier à Fort-de-France qui  serait à même de faire un petit travail urgent.
Elle m'indique un petit artisan chez qui je me rends sans trop de difficultés.
Son atelier, une échoppe de tôle…
L'homme d'un âge avancé à la barbe grisonnante, est penché sur une feuille de l'administration fiscale.
Je m'approche de lui en lui disant: "Quoi que tu fasses, si tu me réalises ce bijou rapidement, je paierai pour toi cette taxe".
Il lève ses yeux d'un noir d'ébène et me fixe longuement.
Je lui montre le schéma du Symbole.
À ma grande surprise, il me fait corriger le sens du croissant de lune, l'ayant moi-même dessiné pointes vers le bas.
Il ajoute: "Non, c'est comme ça que tu l'as reçu».
Je lui laisse le soin de redessiner le symbole.
Toutefois, une difficulté se présentait.
Nous partions l'après-midi et il n'était pas en mesure de fabriquer le bijou dans l'immédiat.
Il me proposa de me le faire parvenir en Guadeloupe à l'adresse de Jobby V.
Trois  jours après notre arrivée à Pointe-à-Pitre, je reçus par personne interposée, le modèle original.
J'en fis par la suite quelques exemplaires...

 


                                               EN GUADELOUPE

 

Jobby nous fit faire le tour de l’île, île merveilleuse qui allait devenir mon nouveau berceau.
L’île de la Guadeloupe est très riche en vibrations. De nombreux événements se révèlent à moi tout à fait à mon insu notamment par des rencontres très insolites.
Ainsi, ai-je l'occasion, un jour de promenade en bordure de mer à Gosier en compagnie de Jobby, Danielle et moi, de rencontrer un personnage très riche sur le plan spirituel, à moitié voyant et médium.
Se dirigeant vers moi comme s'il me connaissait depuis longtemps, il me tend la main et me dit: « je m'appelle Manijean, je sais qui tu es et ce que tu as accompli en Martinique ».
Je reste stupéfait !
Jobby me confia qu'il avait fait parler de lui durant la colère du volcan de la Soufrière.
Il était apparu à la télévision locale pour rassurer la population en annonçant, contrairement aux responsables locaux, qu'il n'y aurait pas d'irruption et qu'il ne fallait pas s'affoler.
Ce qui n'empêcha pas le transfert de la population de Basse-Terre vers Grande-Terre, l'autre aile du papillon guadeloupéen.
Cet homme, par sa façon de m'aborder et de m'observer sous son regard étrange et lumineux m'interpellait.
Tout en nous emboîtant le pas sur le bord de mer, il me demanda si éventuellement je consentais à me rendre chez lui, disant avoir un message pour moi.
J’acceptai bien volontiers sa proposition pour le lendemain.
Le retrouver fut très difficile. Il habitait dans la périphérie de Gosier, dans une cité, en fait un bidonville.
Aujourd'hui la route nationale menant à saint François traverse cet endroit.
Découvrant les lieux, avec Danielle, nous nous regardons dubitatifs.  Interrogeant les gens du voisinage, nous finissons par retrouver le couple Manijean qui nous accueille avec beaucoup de gentillesse.
Sa jeune compagne d'une vingtaine d'années ne dit mot.
À un certain moment, il me conduit vers un autre réduit, une baraque de tôles avec des planches au sol.
À ma grande surprise, j'y découvre une chapelle ardente, illuminée de bougies entourant une statue de la Vierge Noire.
Manijean ferme la porte, endosse une cape noire et se munit d'une épée.
Il  me salue, et tel un chevalier, me consacre selon son rituel.
C'est à cet instant que l’étrange mêlé à l'irréel se produit.
Il appelle sa compagne d'une voix rauque, je dirais d'outre-tombe, c'était lui sans être lui: "Viens Doudou, approche et dis-nous qui est notre honorable visiteur ".
Sceptique, je l'étais. Où avais-je mis, une fois de plus, les pieds ?
Tout en apposant le plat de la lame de son épée sur l'épaule droite puis l'épaule gauche de la jeune femme, il se met à psalmodier.
Je ne comprends alors rien à son discours.
Sa compagne très docile, s’exécute au moindre mot prononcé.
De l'encens brûle, la pièce en est déjà noire.
Je demeure confiant, attendant la suite.
Cette femme, d'abord plongée dans une profonde méditation, se met tout à coup à trembler de tous ses membres. A cet instant, elle n'est plus elle.
Dans cet état léthargique, sous l'effet de je ne sais quelle cause, elle prend la parole et s'adressant à Manijean, lui dit: "Tu reçois en ton sein ton ami, ton cher ami "Cagliostro".  Honore sa présence car il vient d'être élu pour accomplir une tâche dans le silence».
Dans son état médiumnique, je pense qu'elle vient de procéder à une incantation vaudou.
Je suis quelque peu surpris des révélations qu'elle m'adresse. Tout y passe, même la mort de notre fils Frédéric décédé, à un mois,  d'une toxicose.
S’accrochant à moi, et me prenant la main droite, elle  me dit : "elle soignera, elle guérira.  Applique cette main sur les maux, sur les douleurs et tu soulageras bien des gens».
J'écoute  avec intérêt tout ce qu'elle me dit par l'intermédiaire de son compagnon en parfaite communion avec elle.
Je comprenais très bien cette opération. Je savais que j'étais guidé vers ces gens-là.
Mais ma surprise est à son comble quand, revenant de je ne sais quelle couche cosmique, elle ajoute: "Pierre est la rencontre voulue».
Immédiatement, je réalise qu'elle aussi,  qu’eux aussi,  sont voulus !
Puis, elle reprend totalement conscience lorsque Manijean ferme sa cape.
Il lui administre une boisson fraîche et prononce quelques mots dont je suis incapable de comprendre leur signification.
Cette visite me laisse pantois, vraiment groggy !
Pourquoi moi ?
Pourquoi dois-je vivre ces événements insolites qui me rassurent et m’inquiètent à la fois ? J’étais léger. Je venais de faire un voyage dans un monde inconnu.
Manijean, enfin, clôture la " séance " en allumant deux bougies, une pour moi et une pour Danielle.
Je suis étourdi... je ne cesse de repenser à tout ce que cette jeune femme m’a dit.
Comment, habitée par quel esprit, peut-elle " être autant la vérité" ?
Mais  un nom revient à mon esprit: Cagliostro. Qui est-ce demandai-je à Manijean ?
Cherche et tu sauras me répondit-il.
Ce charmant couple mystérieux m'avait totalement subjugué.
Aussi, lorsqu’il nous fit part de son souhait de nous avoir à sa table, j'acceptai cette invitation qui prolongeait notre entretien. Je n'appris rien de plus.
Nous sommes alors passés à table. L’installation était modeste... Que dis-je, inexistante. Dans un coin de la pièce un lit de planches avec un sommier probablement récupéré dans une déchetterie, des chaises faites de bric et de broc et un banc.
La chaleur diffusée par la tôle y était étouffante.
Le repas nous fut servi. Au menu un " féroce " : spécialité caraïbe composée de manioc, banane, morue, et le tout arrosé d'une sauce relevée.
Le bourdonnement incessant d'une multitude de mouches volant en tous sens et attirées par ce plat, incommodait particulièrement Danielle. Aussi, nous dûmes nous battre avec ces bestioles agitant sans cesse l'un et l'autre notre main libre pour nous débarrasser d'elles.
Pour moi, ce fut un repas qui me rendit plein de reconnaissance à l'égard de nos hôtes.
Ce « féroce » bien lourd et la sauce piquante fit l’effet d'un emplâtre particulièrement indigeste.
Enfin,  comme pour sceller notre rencontre, Manijean sortit de dessous le lit une bouteille de champagne dont le contenu était, comme vous le devinez, particulièrement pétillant ...
Peu importe, il fallait arroser la " révélation " et Manijean   en trinquant, alors que nos verres se croisaient, dit tout haut: "Que l'Esprit Saint qui nous habite  nous aide à accomplir la tâche que le Maître  nous dictera ».
Ce fut pour nous, pour moi, une journée vraiment mémorable si riche en événements.
Puis, les jours s'écoulèrent. Les rencontres que je faisais m’apportaient une sérénité et une grande joie de vivre innocente, sous le soleil de Guadeloupe.
Enfin le séjour prit fin.
Nous étions à l'aéroport de Raizé, aéroport qui à l'époque desservait non seulement la métropole mais également les îles environnantes.
Sur le point de présenter, Danielle et moi, nos billets et papiers pour l'embarquement, j'entends tout à coup quelqu'un m'appeler.
Arrive Manijean, essoufflé par une course épuisante, tentant de nous rattraper avant l'envol.
Il me dit avec sérieux:
"François...  François prend garde, ils vont te faire payer le travail que tu as fait. L'Esprit malin cherche à te détruire ".
Décidément, jusqu'à la dernière minute de ce séjour, je vivais des situations hallucinantes.
Nous donnant une accolade, je sentis sur mon épaule la pression de ses mains, accompagnée de ces mots «  soyez prudent ».
Nous embarquions, à l'époque, sur le Tarmac où nous devions emprunter une échelle passerelle.
Au moment où j'en escaladais les marches, je ressentis comme une présence.
Me retournant, j'aperçus au loin, sur la terrasse, un homme agitant les bras: c'était Manijean qui nous saluait.
Nous prîmes place dans l'avion.
Nous étions en zone fumeurs, sur les fauteuils du fond près des  toilettes, adossés à la desserte des stewards.
Ceintures attachées, le Boeing 747 décolle normalement, l'hôtesse commence à s’affairer.  On s'apprête à projeter le film du voyage.  Tout va bien.
Mais, j'étais resté avec Manijean. Je me rappelais ses dernières paroles à notre intention : « François, François… prends garde, ils vont te faire payer le travail que tu as fait. L’esprit malin cherche à te détruire ».
Environ,  une heure de vol venait de s'écouler, les voyageurs se détendaient et arpentaient les allées latérales.
Les hôtesses servaient des boissons, poussant devant elle leur chariot. Quand, tout à coup, pour une raison inconnue, l'avion commença à vibrer puis subitement décrocha.
Le choc fut brutal et le spectacle hallucinant.
Les enfants sur les genoux des parents partirent comme des balles de ping-pong vers le plafond de la carlingue.
Les chariots avec les repas furent projetés en l'air.  Des  cris s’élevèrent. La lumière s’éteignit nous plongeant dans une semi-obscurité.
Portant mon regard sur l'écran, destiné à recevoir le film de la soirée, je distinguai nettement une bande de visages disposés en demi-cercle, tous plus affreux les uns que les autres me narguant.
Une lueur vint à mon esprit : Manijean...
Je me mis brusquement debout et, m'adressant à ce quarteron grimaçant, je fis un signe de croix et récitai avec force une prière dite à l’intention de Saint Michel.
Je la récitai à qui voulait, à qui pouvait m'entendre.
J'avoue que je n'étais plus moi-même.
Puis, je ressentis petit à petit la paix revenir en moi. L’avion, après quelques soubresauts, reprit son vol.
La lumière revint. Le spectacle que j'avais sous les yeux, relevait du cauchemar: chariots renversés, bouteilles et repas sur le sol. Les enfants pleuraient, certaines personnes priaient. Heureusement, Danielle bien sanglée sur son siège était indemne.
Regardant l’écran..., tout avait disparu. Plus rien !
J'étais k.o, las, envahi par une grande fatigue et je ne sais pourquoi, je me mis à pleurer tout en remerciant le ciel de nous avoir épargnés, de nous avoir sauvés.
Et si Manijean avait eu raison...?
Je  me reposais bien calé dans mon fauteuil quand une hôtesse vint me voir.
Elle était encore très choquée par ce que nous venions de vivre et me demanda qui j'étais.
Puis, se confiant à moi, elle me dit: "Ecoutez, Monsieur, au cours de cette violente commotion, je vous ai aperçu, debout, en train de faire des grands signes de croix, puis vous criiez, hors de là, esprit du mal, hors de là Hariman, " Maître des ténèbres ».
Je ne me souvenais pas de ce que j'avais pu dire à ce moment-là.
Même le commandant de bord vint prendre de mes nouvelles.
Je me souviens  lui avoir demandé quelle zone nous venions de survoler. Il me répondit : aucune zone de turbulences n'était annoncée dans ce secteur.
Étant au large des Bermudes, y avait-il un lien de cause à effet ?
Nous passâmes le reste du voyage, éveillés.
L'avion s'était transformé en chapelle. Les voyageurs priaient;  seuls, les enfants, ceinturés, dormaient.
Je  parcourus les allées de l'appareil entre les sièges.
Je ne sais pourquoi mais je me sentais responsable de mes compagnons de voyage. Je les observais avec beaucoup de chaleur comme si au fond de moi-même je me devais de les protéger.
Le petit déjeuner fut très vite avalé.
Un silence pesant mêlé de crainte nous accompagna durant la descente vers Orly. Nous n'avions qu'une seule pensée, atterrir... atterrir, toucher le sol de nos pieds.
À la sortie de l'avion, nous prîmes connaissance des dégâts occasionnés. Heureusement, il n'y avait rien de grave, quelques blessures légères et contusions mais, encore beaucoup de personnes choquées.